Primaire2

Pourquoi les jeunes actuels cassent-ils les codes ? Sont-ils des catalyseurs de la Transition ?

Pour quelles raisons brisent-ils les codes ? Qu’est-ce qui les pousse à fouler aux pieds certaines de nos lois ? Mettent-ils notre société en péril ? Y a-t-il de l’intelligence dans cette décadence juvénile ? Ces jeunes, qualifiés de retors, sont-ils clairement animés par la volonté de détruire ? Et si c’est un message, qu’essaient-ils de nous dire ?

Dans notre monde occidental moderne, nous nous accordons facilement sur le fait que le jeune a besoin d’éducation pour pouvoir s’intégrer et fonctionner dans la société. Ce sont des corporations d’individus libres et égaux en droits qui s’organisent et fonctionnent selon un code moral admis. Un consortium humain qui prépare les jeunes à occuper une place, lorsque ces derniers auront atteint la majorité, la maturité ou encore l’âge adulte. La société prévoit qu’une personne devient membre à part entière dès qu’elle est en mesure de s’ajouter à la masse en tant que valeur productive, une valeur ajoutée. Le travail étant le ciment permettant l’articulation des différents organes de sa constitution, chacun doit trouver sa place dans l’engrenage. Une machine autrefois bien huilée dont les rouages semblent pourtant se gripper chaque jour davantage. Quand s’opère cette inclusion dans le monde du travail, et qui en détermine le moment ? Est-ce une affaire d’âge, de potentiel ou de compétences ?

Une société est un ensemble de personnes vivant en groupe organisé, caractérisé par ses institutions, ses lois, ses règles, généralement constitué au sein d’un pays ou d’une nation. Comment est né le concept de société ? Comment s’est formé le germe de notre société au fil des siècles ? Pourquoi en sommes-nous arrivés à la formation d’une cohorte d’individus qui semblent plus égocentrés que centrés, davantage en quête d’individualisme que d’individuation ?

En son temps, Rousseau, philosophe du siècle des Lumières, désignait la société comme responsable d’une forme d’aliénation de l’Homme, renonçant à ses droits « naturels » au profit de « l’État ». Dans son ouvrage Du contrat social, publié en 1762, il analyse la relation contractuelle nécessaire à tout gouvernement légitime, de façon à articuler les principes de justice et d’utilité, afin de concilier l’aspiration au bonheur avec la soumission à l’intérêt général. Il y défend la thèse qu’une organisation sociale « juste » repose sur un pacte garantissant l’égalité et la liberté de tous les citoyens. Il insiste sur la totalité de ces citoyens, opposant leur volonté particulière à la volonté générale, seule garante de l’égalité de chacun. Ainsi, la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres. Existe-t-il une liberté commune, une démocratie réelle, ou bien cette dernière est-elle une utopie qui, tôt ou tard, débouche sur des conflits irréconciliables ? Rousseau écrit :

« S’il n’est pas impossible qu’une volonté particulière s’accorde sur quelque point avec la volonté générale, il est impossible au moins que cet accord soit durable et constant ; car la volonté particulière tend, par sa nature, aux préférences, et la volonté générale, à l’égalité. […] Le souverain peut bien dire : “Je veux actuellement ce que veut un tel homme”, mais il ne peut pas dire : “Ce que cet homme voudra demain, je le voudrai encore”, puisqu’il est absurde que la volonté se donne des chaînes pour l’avenir. […] Si donc le peuple promet simplement d’obéir, il se dissout par cet acte, il perd sa qualité de peuple ; à l’instant qu’il y a un maître, il n’y a plus de souverain, et dès lors le corps politique est détruit. »

Ce passage résonne étrangement avec ce que nous vivons aujourd’hui en France. Le représentant de l’État, usant de ses pleins pouvoirs – exécutifs et législatifs – conduit le pays à servir des intérêts politico-économiques qui lui sont parfois extérieurs, générant de multiples conflits d’intérêts. Cela se fait bien souvent sans l’aval du peuple, qui, rappelons-le, est censé être le seul souverain depuis la fondation constitutionnelle de notre république. Le pays se retrouve ainsi embarqué dans des conflits militaires, sous l’influence d’instances européennes qui restreignent ses ressources, accentuant la précarité dans une crise sociale déjà latente depuis plus de trente ans. Aujourd’hui, sur le sol du pays des droits de l’Homme, les citoyens voient leurs libertés restreintes : liberté de mouvement, d’expression, de protection de leur identité. Les jeunes n’ont pas été épargnés ces deux dernières années. On comprend alors aisément pourquoi la volonté particulière ne coïncide plus avec la volonté générale. Le contrat de confiance est rompu. Les jeunes, représentatifs d’un peuple sous tension, n’ont plus rien à perdre en exprimant leurs états d’âme ou leurs revendications publiquement.

Que signifie pour eux faire partie de la société ? A-t-elle encore de la valeur à leurs yeux ?
À l’origine, on parlait de la « cité », du latin civitas, désignant dans l’Antiquité, avant même la création des États, un groupe d’hommes libres sédentarisés, pouvant avoir des esclaves, constituant une société politique indépendante, avec son propre gouvernement, ses lois, sa religion et ses mœurs. Par extension, ce terme en est venu à désigner le lieu de rassemblement de ces hommes : la ville, organisée autour d’un culte commun. 
À l’époque gallo-romaine, la « cité » prend le sens de territoire, puis de regroupement de villas agglomérées, donnant naissance à la ville, laquelle conservera ce double sens : espace géographique et entité morale. Au XVIe siècle, « cité » prend pleinement le sens de personne morale, proche de ce que désigne aujourd’hui le mot « société » dans des expressions telles que « Société des Nations ».
C’est à la Renaissance que le mot « citoyen » fait son apparition pour désigner les membres de la société, porteurs d’un esprit civique commun. 
Ainsi, la société repose-t-elle sur la volonté de ses citoyens à la faire fonctionner selon un code moral qu’ils auront collectivement établi. Un ensemble de droits et de devoirs fondé sur un socle de valeurs partagées, assurant un sentiment d’appartenance collective. Mais qui sont ces citoyens, et à quel moment le devient-on aujourd’hui ? L’objectif premier a toujours été de trouver un modèle politique et social idéal. L’avons-nous atteint ? Quelle est l’état de santé de l’esprit civique en France ? Comment nos jeunes transforment-ils cet état d’esprit autrefois normatif et réflexif en une forme d’expression plus contractuelle, plus émotionnelle, plus directe ?

Voici peut-être un début de réponse à plusieurs des questions soulevées plus haut. Si, à l’origine, faire partie de la cité signifiait bénéficier du « droit de cité » — c’est-à-dire du droit d’appartenir à une communauté et d’y prendre la parole —, ce n’est plus réellement le cas aujourd’hui.
Les jeunes que l’on n’intègre pas pleinement à la société s’arrangent pour se faire entendre, et s’octroient, de fait, le droit de s’exprimer, parfois de manière brutale, voire irrespectueuse, à l’encontre d’une société qu’ils n’ont pas choisie mais dans laquelle ils aspirent à être inclus. Ils aimeraient être reconnus plus rapidement comme membres à part entière, après avoir démontré ce qu’ils peuvent apporter. Ils réclament un rite de passage, une épreuve de validation — ce fameux droit de cité —, sésame vers l’indépendance et la responsabilité. 
À l’origine de la cité, donc de ce regroupement d’individus consentant à vivre ensemble, il y avait une volonté : celle de s’organiser pour évoluer. Mais aujourd’hui, l’évolution depuis la Renaissance ne rime pas nécessairement avec prospérité humaine. Notre société apparaît de plus en plus morcelée, fragmentée, divisée, minée par ses inégalités socio-économiques et socio-culturelles.

Peut-être nos jeunes ne trouvent-ils plus de sens à cette entité morale qu’est la société, tant elle semble les démoraliser par un fonctionnement devenu obsolète. Un système archaïque dont les rouages, usés, ne laissent que peu de place aux jeunes en tant que sujets capables. On les considère encore trop souvent comme des êtres en transition, des produits en cours d’usinage, bientôt finis, formatés selon un cahier des charges rigide, puis validés — ou non — par un « contrôle qualité » social en quête de conformité, voire de rentabilité. Et pourtant, ils ont des idées. Un luminous epinoia, une fulgurance intérieure, une nécessité d’émergence et de création. Mais cette pulsion ne peut pas toujours s’exprimer librement, ce qui crée une tension intérieure gigantesque, génératrice d’angoisse et de colère.
Où peuvent-ils décharger cette énergie en attente ? Comment exprimer en silence cette angoisse de devoir contenir un feu créatif qui bout en eux ?
À qui adresser leur mal-être, celui de ne pouvoir être eux-mêmes sans devoir se conformer ou remettre en question tout l’ordre établi ?

Trop jeunes, encore trop « immatures », tamponnés du sceau du « non fonctionnels », sans passeport pour jouer au jeu des grands, ils attendent.
Ils errent. Dans leur chambre. Dans la rue. Dans les halls d’immeubles. Ils suivent les cours par intermittence, hantent les salons où stationnent leurs parents. Ils entament une errance vagabonde qui les mène, l’âme en peine, vers une existence passive, comme mise en quarantaine. Tels des patients pourtant sains, ils remplissent des salles d’attente déjà bondées, semblables à des malades en crise de guérison à qui l’on prescrit l’anesthésie pour étouffer leur mal d’être. Des antalgiques pour éteindre la douleur des contractions qui voudraient les faire naître à eux-mêmes, mais que l’on repousse, retardant le travail, le rendant plus long et plus pénible encore. 
On leur distribue des palliatifs addictifs de toute nature : divertissements ascensionnels, objets toujours plus high-tech, conçus pour détourner leur attention, anesthésier leurs mots trop bruyants, leurs maux trop voyants. On les endort. On les pacifie. Comme dans une lente euthanasie de leur esprit, réduit au silence.

Certains esprits flanchent, d'autres s’assombrissent, mais quelques-uns, minoritaires, se dressent et s’élèvent, mus par une force intérieure impérieuse, une urgence d’agir. Ils renoncent aux dogmes du passé, aux fidélités au clan, partent en quête de leur identité réelle, dans un élan qui, à leur mesure, relève du « quoi qu’il en coûte ». Leur premier acte : faire le ménage. Nettoyer. Détruire pour réorganiser. Créer un vortex qui emporte les fondations mêmes du système, le fait exploser de l’intérieur. Ranger sa chambre devient un acte symbolique, un miroir : ordonner la société commence là, dans l’espace intime. Ce sont leurs signaux d’alarme, leurs sirènes, leur vacarme. Ils font du bruit, et ce bruit est leur symptôme. C’est une clameur devenue trop forte pour être ignorée. L’ordre sociétal les somme d’étudier pour s’insérer dans un avenir devenu opaque, flou, parfois même fictif. « Il faut bien travailler à l’école pour avoir un bon travail » disait-on. Mais non. C’était comme ça. Ce n’est plus ainsi. Nous voici au terme d’un cycle : les us et coutumes séculaires sont remis en question, secoués, bouleversés. C’est la fin de l’Homohabitus, cet être façonné pour s’adapter, pour se fondre dans une norme établie. Pourtant, il suffirait de se rappeler nos propres fulgurances enfantines, ces éclairs de génie qui suscitaient l’émerveillement de nos parents, pour comprendre que ce potentiel est encore là, vif, ardent, chez ceux qui attendent d’être vus.

C’est le champ des possibles qui résiste au chant des sirènes. Non pas celles, enjôleuses, des mythes et des contes, mais celles, réelles, stridentes, qui hurlent aux coins des rues depuis des années. Ces jeunes n’en peuvent plus des histoires édulcorées, des contes à dormir debout, des promesses creuses. Ils ont vu leurs parents se contracter, souffrir, renoncer. Ils refusent désormais le chantage. Ils se réveillent. Et avec eux, sonne le glas d’un système à bout de souffle. Ils proclament sa fin, son agonie. Ils chassent la chimère. C’est leur rite de passage. Guerriers modernes, ils traquent l’ancien monde pour faire place au nouveau. Non par utopie, mais par certitude. Ils ne croient pas en un miracle : ils savent que cela dépend d’eux. Le monde nouveau s’ouvre, non comme une option, mais comme une nécessité. Et ils le construiront. Non sans douleur, mais avec force. Certains, déjà revenus de leur nuit noire, après une chute, une dépression, le disent clairement : ils ne veulent pas seulement survivre — ils veulent co-créer. Le pays vacille. Il fait mine d’aller bien, mais son vernis craque. Il serait inutile, voire malhonnête, de masquer plus longtemps son agonie. Nos jeunes ne sont pas dupes. Ils possèdent une acuité, une finesse perceptive hors du commun. Ce sont des antennes vivantes. Ils captent, ressentent, interprètent. Ils n’ont pas encore été encombrés des filtres adultes, de ces couches mentales sédimentées par les injonctions, les traumatismes, les renoncements. Leur lecture du monde est directe, perçante, brutale parfois, mais authentique. Et c’est sans doute ce regard qui effraie tant, car il perce nos œillères, fissure nos masques. Il oblige à regarder en face. Lorsqu’on prend enfin le temps de les écouter, ils sont d’une éloquence troublante. Nombre d’entre eux s’ennuient d’attendre une autorisation d’exister, un permis d’êtreté qu’on tarde à leur délivrer. Et quand, enfin, l’école les laisse partir, baccalauréat en poche, ce n’est que pour rejoindre une autre file d’attente : celle du marché du travail. S’insérer. Se faufiler. Tenter de se vendre, avec numéro de sécurité sociale à l’appui, et sagement patienter dans l’interstice. L’épreuve est rude. On le leur a dit depuis toujours : la vie est une compétition. Depuis le berceau, on leur répète cette rengaine. Mais ils n’y croient plus. Ils se souviennent d’un temps où l’on n’avait pas à mériter sa vie pour se sentir vivant. Le jardin d’enfants n’était pas une salle de pré-tri.

En France, on devient citoyen à dix-huit ans. Légalement majeur. On accède au droit de vote, à la reconnaissance sociale d’un statut adulte. Sur le papier, on est libre, autonome, mature. Mais dans les faits, ces termes — majorité, maturité, responsabilité — sont confondus, amalgamés, utilisés à tort comme synonymes. Être adulte ne signifie pas nécessairement être mature. Être majeur ne garantit pas la sagesse. Et la maturité, qu’est-elle vraiment ? Un âge ? Un état ? Une capacité ? Une complétude ? Tant d’adultes en apparence accomplis peinent encore à trouver la paix, à se sentir entiers. La plénitude est rare, même à un âge avancé. Étrange ambition, alors, que de vouloir transmettre la sagesse quand on ne l’a pas encore pleinement incarnée soi-même. Les jeunes le sentent. Et c’est peut-être cette dissonance entre ce qu’on leur impose et ce qu’ils perçoivent qui génère chez eux cette tension sourde, ce refus d’obtempérer davantage.

Il est temps de redéfinir ce que nous appelons « sagesse ». Non pas à travers le prisme vieilli de l’accumulation de connaissances, mais à la lumière de son étymologie profonde. Le mot vient du latin sapere, signifiant non pas « connaître », mais « savoir être ». C’est un savoir intérieur, incarné, non intellectuel. Une conscience vibrante, une lucidité ancrée. Or, à force de confondre savoir et connaissance, nous avons dérivé. En français comme en espagnol, saber ou savoir ont été contaminés par le verbe avoir, perdant la trace du verbe être dont ils sont pourtant issus. Nous avons cru que l’on pouvait posséder le savoir, comme un bien, comme une marchandise. Mais le savoir véritable ne s’acquiert pas, il se révèle. Est sage celui qui sait de l’intérieur, celui qui capte le vivant, pas celui qui récite des mémoires mortes. Et pourtant, c’est vers ce modèle que nous orientons nos enfants : « Sois sage », leur dit-on, comme une injonction à se taire, à se contenir, à se plier. Nous leur imposons une docilité qui n’a rien à voir avec la sagesse. Les adultes eux-mêmes n’y parviennent pas toujours. Ont-ils, à l’âge des adolescents qu’ils jugent aujourd’hui, atteint cette fameuse sagesse qu’ils brandissent comme une norme ? Rien n’est moins sûr. Les adultes s’impatientent, se plaignent du manque de maturité des jeunes, tout en oubliant qu’un être « mûr » est, étymologiquement, un être qui a atteint sa plénitude, son développement complet. Mais complet de quoi ? De conformisme ? D’expérience ? D’oubli de soi ? De résignation ? On attend des jeunes une complétude qu’aucun adulte ne peut réellement définir. Et lorsque cette plénitude n’est pas au rendez-vous, on les juge « incomplets », « immatures », « en retard ». Nous oublions que la maturité n’est pas une course. Elle n’est pas linéaire, ni mesurable au nombre d’années ou de diplômes. C’est un état d’être qui ne s’atteint que par la mise en ordre de ses propres paramètres intérieurs. Et combien, parmi nous, y sont vraiment parvenus ? Peu. Alors pourquoi leur demander d’être pleins, quand nous-mêmes sommes souvent encore en morceaux ? Drôle de paradoxe que de vouloir éduquer à la sagesse des jeunes âmes que l’on bride, quand on n’a pas encore apprivoisé la nôtre.

La vocation de cet article n’est pas de provoquer, mais de prévenir. En tant que professionnels de l’accompagnement, nous observons chaque jour une réalité alarmante : des adultes désorientés, en perte de sens, en épuisement, en burn-out, souvent aussi désemparés que les jeunes qu’ils encadrent. La crise n’est pas générationnelle, elle est civilisationnelle. Et les adolescents en sont les baromètres. Ce qu’ils manifestent, bruyamment ou silencieusement, n’est rien d’autre que l’écho d’un déséquilibre profond. Ces jeunes ne savent plus obéir, non par caprice, mais parce qu’ils n’en peuvent plus d’obtempérer à des ordres qu’ils ne comprennent plus, à des schémas qui ne les intègrent pas. Ils arrivent au bout de ce qu’on leur demande d’endosser : des rôles, des attentes, des projections. Ils n’en peuvent plus de jouer un rôle dans une pièce dont ils n’ont pas écrit le scénario. Ils veulent redevenir auteurs, maîtres de leur texte.

Toute leur vie, on leur a dit quoi faire, quoi penser, quoi devenir. Depuis leur naissance, ils sont guidés, orientés, éduqués, conditionnés. On les formate à intégrer une société bien-pensante, bienveillante — du moins en apparence —, censée savoir ce qui est bon pour eux. Mais cette société est en décalage. Elle propose des cadres qu’eux ne reconnaissent plus. Des règles sans cohérence. Des normes sans cœur. Et ils sentent, confusément, qu’ils ne peuvent pas être eux-mêmes tant qu’ils doivent être « comme eux ». C’est là que surgit la tension. Le tiraillement entre l’authenticité intérieure et la conformité extérieure. Dès le plus jeune âge, on leur apprend à respecter les interdits. On leur trace des lignes rouges. Mais trop souvent, ces interdits sont devenus des « sens interdits » : des voies barrées sans explication. Et pourtant, ces chemins résonnent en eux, mystérieusement, comme des appels à transgresser, à explorer, à comprendre ce qui se cache derrière l’interdit. Ils pressentent que derrière l’injonction au bon comportement se joue une mascarade : celle d’une parade sociale où il faut se masquer pour être accepté. Où le respect des codes devient une condition pour être validé, confirmé, reconnu. Combien de « ça ne se fait pas », de « ça ne se dit pas », de « c’est comme ça », ont rythmé leur enfance ? Des formules automatiques, récitées par tradition plus que par conviction. Des injonctions transmises de génération en génération, parfois vides de sens mais pleines de poids. Il n’y a ici personne à accuser. Ce ne sont pas des fautes individuelles, mais des mémoires collectives, des injonctions transgénérationnelles véhiculées inconsciemment, par loyauté au clan, par crainte de l’exclusion. Se conformer, pour survivre. Tel est le pacte implicite transmis de siècle en siècle. Car refuser le moule, c’est prendre le risque d’être rejeté. Or, rares sont ceux qui possèdent, dès l’enfance, la sécurité intérieure nécessaire pour s’ériger, non contre, mais en dehors du groupe. Pour devenir un individu debout, sans dominer, sans soumettre, mais en paix. Et pourtant, cette élévation est en cours. Silencieuse, lente, mais déterminée. De plus en plus de jeunes s’essaient à cette verticalité intérieure. Non pas pour se rebeller contre l’ordre établi, mais pour s’aligner avec leur axe, leur vérité propre. Le chemin d’individuation n’est pas une opposition, c’est une différenciation. Ce n’est pas une guerre contre les autres, mais une quête de cohérence avec soi. Il ne s’agit pas d’exclure, mais d’inclure autrement.

Dans cette perspective, on comprend que certaines formes d’insoumission ne sont pas des troubles du comportement, mais des signaux d’éveil. Une insurrection naturelle, peut-être innée, que Rousseau entrevoyait déjà comme une expression de la volonté d’exister librement. Se distinguer, non par égo, mais par nécessité vitale. Exister selon sa nature, affranchi des schémas anciens, des rôles transmis, des assignations arbitraires. C’est cela, le vrai enjeu : devenir un être libre en conscience. Non un produit de son environnement, mais une réponse vivante à sa propre vibration intérieure. Or, le système actuel n’en est pas encore là. Il valorise l’uniformité, mesure la conformité, récompense la standardisation. L’unicité y est suspecte, l’originalité trop bruyante, la différence trop dérangeante. Et pourtant, une société vivante ne peut être faite que d’unités pleinement différenciées et pleinement reliées. L’intelligence collective ne naît pas de l’alignement forcé, mais de la coopération harmonieuse entre des singularités assumées. L’enfant, dans sa pureté initiale, ne cherche pas à gravir les échelons d’une hiérarchie sociale ; il aspire à s’élever sur une autre échelle : celle de l’éther. Qu’est-ce que cela signifie ? L’éther symbolise cette dimension primordiale, vibratoire, cette source subtile qu’il ressent encore intensément, avant que le monde ne vienne l’en détourner. Très tôt, il est invité — ou contraint — à couper ce lien pour entrer dans le monde des adultes, des preuves, du tangible, du mesurable. Ce monde qui valorise le rationnel, l’analytique, la maîtrise, au détriment de l’intuition, de la sensation, de l’être.

Depuis des siècles, l’humain a refoulé sa part vibratoire. Ce que certains appellent l’intuition, la résonance, ou le pressentiment a été relégué à l’arrière-plan, considéré comme illégitime, irrationnel, non scientifique. Nous avons survalorisé le cerveau gauche, celui de l’analyse et du contrôle, en oubliant le cerveau droit, celui de l’image, de la vision, de la globalité. Mais depuis la seconde moitié du XXe siècle, une nouvelle vague d’enfants est arrivée, que les cadres traditionnels peinent à contenir. Daniel Kemp, dans son ouvrage Le syndrome de l’enfant Téflon, décrivait déjà en 1988 ces jeunes sur qui « rien ne colle » : ni punition, ni menace, ni flatterie, ni promesse. Ces enfants semblent hermétiques aux leviers classiques d’éducation. Mais ce n’est pas qu’ils ne ressentent rien. C’est qu’ils ne peuvent plus faire semblant. Ils ne supportent plus l’artifice. Ils recherchent l’intelligence dans l’acte, le sens dans la contrainte. Et quand ce sens leur échappe, ils résistent, parfois violemment.

Leur vibration est plus haute. Cela se mesure. Certains spécialistes évoquent des taux vibratoires hors normes, perceptibles sur l’échelle de Bovis, ou dans les relevés de la résonance de Schumann. Ces enfants sont accordés à d’autres fréquences. Hypersensibles, hyperconnectés, mais aussi facilement perturbés par notre monde saturé d’ondes, de bruits, d’écrans, de tensions. Leur champ énergétique est en permanence brouillé, surexcité. Leur système nerveux sature. Ils surchauffent. Et comme personne ne leur apprend à réguler cette intensité, ils explosent ou implosent. Troubles du comportement, déscolarisation, crise identitaire, isolement. On les étiquette. On les médicalise. Mais rarement, on les écoute.

Ces jeunes, que l’on dit inadaptés, sont peut-être les plus lucides d’entre nous. Ils ne fonctionnent pas « mal » : ils fonctionnent autrement. Leur logique est heuristique, intuitive, globale. Ils apprennent par immersion, par expérience directe, par résonance. Ce ne sont pas des erreurs du système éducatif — ce sont des révélateurs de ses limites. Ils incarnent une rupture, non choisie mais profonde, avec le paradigme précédent. Marie-Françoise Neveu, psychopédagogue et clinicienne, décrit depuis les années 1980 cette bascule cognitive : un passage du cerveau gauche dominant au cerveau droit émergent. Dans Les enfants actuels, elle évoque ces jeunes atypiques qui ne rentrent dans aucune case, qui résistent aux programmes, qui dérangent les enseignants. Ils sont souvent jugés trop sensibles, trop lents, trop rêveurs, trop agités — trop tout.

Mais ils perçoivent autrement. Ils captent ce que les autres ne voient pas. Leur rapport au monde est sensoriel, énergétique, transversal.
Et c’est cela qui les déstabilise : ils n’ont pas encore les clés pour décoder ce qu’ils ressentent. Ils vivent dans un monde surchargé d’informations vibratoires, sans boussole pour s’y repérer. Leur sensibilité n’est pas une faiblesse : c’est une antenne mal réglée. Ils ne sont pas déficients : ils sont précoces dans une fréquence que l’on ne reconnaît pas encore. Leurs corps sont plus électriques, leur système nerveux plus perméable. Ils accumulent la tension, faute de canal. Et lorsqu’elle devient trop forte, elle jaillit : explosion, dépression, isolement, rage. Leur souffrance est réelle, mais elle peut être entendue, accompagnée, transmutée. Ce qu’ils demandent, ce n’est pas d’être corrigés, mais d’être compris. D’être guidés, non vers la conformité, mais vers l’harmonisation. Ils ne supportent plus le mensonge structurel du système : celui qui parle de valeurs mais agit par intérêt ; celui qui prêche la paix mais produit l’angoisse ; celui qui exige l’intégration sans offrir la reconnaissance. Ils cherchent la cohérence, non dans le discours, mais dans l’énergie. Et quand ils ne la trouvent pas, ils s’en vont. Vers d’autres réalités. Ou vers eux-mêmes.

Ces jeunes ne veulent pas dominer, ni blesser. Leur insoumission n’est pas une guerre contre l’autre, mais une bataille pour leur intégrité. Ils veulent aller bien pour pouvoir contribuer. Ce qu’ils rejettent, ce ne sont pas les liens, mais les chaînes. Ils ne cherchent pas à fuir la société, mais à en fonder une nouvelle, affranchie des conflits générationnels que l’on perpétue au nom du conservatisme, de la tradition, du sang, du clan. Ils veulent en finir avec l’héritage inconscient, celui qui plombe et bride. Ils sont en crise, oui. Mais cette crise est transformationnelle. C’est leur chrysalide. Ils ne fuient pas l’avenir : ils le fabriquent. Ici, maintenant. En silence ou dans le tumulte. Avec rage ou avec poésie. Ils veulent se métamorphoser. Naître à eux-mêmes. Devenir autre chose que des pions dans un jeu dont ils ne comprennent plus les règles. Ils veulent bâtir, mais autrement. Depuis un lieu intérieur où la valeur ne se mesure pas à la performance, mais à la présence. Un monde où l’on ne réussit pas pour être aimé, mais où l’on crée parce qu’on se sent relié.

C’est dans cette perspective que s’inscrit la Pédagogie Bio-Logique©. Un accompagnement qui ne vise pas à corriger mais à révéler. Un processus d’individuation, fondé sur la psychologie évolutionnaire, qui ne forme pas des élèves modèles mais des êtres libres. Ce n’est pas un programme de conformité, mais un itinéraire d’autonomie, de responsabilité, de paix. Il s’adresse à ceux qui n’entrent pas dans les cases, à ceux que le système rejette ou étouffe. À ceux qui veulent, non s’adapter au monde, mais participer à sa refondation. Le monde change. Lentement, mais irréversiblement. Et les adolescents ne sont pas en marge de ce changement : ils en sont l’impulsion. Ils ne s’opposent pas à la société — ils en rêvent une autre. Ils la pressentent. Ils la cherchent. Ils la préfigurent. C’est avec eux, et non malgré eux, que ce monde nouveau s’écrira. Un monde plus sensible, plus intelligent, plus vivant. Un monde où la société ne sera plus une structure à intégrer, mais un organisme à co-créer. Un monde fondé non sur la peur du chaos, mais sur la confiance dans la conscience. Et ce monde-là, ils ne l’espèrent pas. Ils le savent possible.

 
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